Henri Weisbecker et Abel Enjalbert ont-ils agi pour aider et sauver des Juifs dans l'espoir d'être honorés du titre de Juste parmi les nations ? En 1943 et 1944, années où ils ont agi au commissariat de police d'Aurillac-Arpajon-sur-Cère, alors situé rue du Crucifix à Aurillac, sur une aile de l'hôtel de ville d'Aurillac, la médaille de Juste parmi les nations n'existait pas. Elle a commencé à être décernée vingt ans plus tard, en 1963-1964, notamment avec Alice Ferrières, première femme Juste parmi les nations à être nommée pour son action à Murat (Cantal), dans les communes voisines et en lien avec les communautés juives de l'Auvergne et du Languedoc-Roussillon.
Serviteurs mais non serviles de l'État français, restés républicains dans l'âme, fermement antinazis, Henri Weisbecker et Abel Enjalbert ont agi pour aider et sauver des Juifs, des francs-maçons, mais aussi des résistants, des réfugiés antinazis issus du Reich allemand ou de l'Alsace-Lorraine annexée, des réfugiés de tous les pays où sévissaient les nazis, les fascistes et les franquistes. Sans oublier des réfractaires au STO qui, sans une vraie-fausse carte d'identité, pouvaient être pris au moindre contrôle, envoyés de force en Allemagne ou déportés.
Au sein du commissariat de police d'Aurillac-Arpajon, Henri Weisbecker et Abel Enjalbert n'étaient pas les seuls à agir dans ce sens. Pensez-vous un seul instant qu'un agent de police, prévenu par Henri Weisbecker et Abel Enjalbert, eux même prévenus par le service de renseignement des MUR (SR-MUR, actif au sein de la préfecture avec Jean Lepourcelet, Edith Lecoq, Robert Dehorter, Renée Belaubre, Jean Marion) qu'une rafle prévue par la Milice ou la police nazie (le SD, Sicherheitsdienst) risquait d'envoyer à Drancy puis à Auschwitz des dizaines de Juifs, pensez-vous que cet agent de police frappait à la porte indiquée, alertait du danger, et laissait sa carte de visite en disant : "Si vous êtes sauvé, pensez à moi pour que j'obtienne une médaille, quelle qu'elle soit" ?
Ils l'ont fait par humanité, par idéal républicain qu'ils gardaient au fond de leur cœur, en ayant conscience que le commissaire Weisbecker donnait des directives allant dans le sens d'un avenir plus radieux, une fois que l'occupant et ses serviteurs seront chassés. Ils l'ont fait en gardant à l'esprit que les policiers doivent assurer la protection de la population, et que le danger principal n'était pas l'étranger, le résistant qui n'accepte pas le joug nazi, mais bien l'occupant.
Henri Weisbecker et Abel Enjalbert, ainsi que ceux qui les aidés, ont pris d'énormes risques. Il leur fallait côtoyer chaque jour des personnages dont ils haïssaient les actions ou l'idéologie, sans prendre des postures d'opposant. Nombre des renseignements qu'ils ont obtenu ont servi à prévenir de dangers ou à mener des actions de Résistance, soit réalisées par des sédentaires (qui gardait l'apparence d'une vie normale tout en agissant, de différentes manières), soit par des maquisards qui auraient été bien en peine de tirer le moindre renseignement utile à l'action en regardant pousser une fougère dans un bois.
En inaugurant une plaque mémorielle sur la façade d'entrée du commissariat de police d'Aurillac, mardi 3 septembre 2024, à la mémoire d'Henri Weisbecker et d'Abel Enjalbert, le préfet du Cantal, Laurent Buchaillat, Béatrice Brun, inspectrice générale, directrice zonale de la police nationale Sud-Est, ont rappelé le sens des actions engagées et courageuses de ces deux Justes parmi les nations, qui ont porté également, malgré les difficultés, les valeurs républicaines et ont participé à sauver l'honneur de la police. Ils ont dévoilé la plaque avec Emmanuel Weisbecker, petit-fils d'Henri, déclaré Juste parmi les nations en 2011, et avec Renée, fille d'Abel, déclaré en 1998.
Auparavant, Simon Massbaum, délégué du Comité français pour Yad Vashem, a retracé brièvement le parcours de sauvetage de Juifs effectué par les deux policiers.
Accompagné de l'inspectrice nationale Béatrice Brun et du commissaire Jean-Philippe Roth, directeur départemental Cantal de la police nationale, le préfet Laurent Buchaillat a passé en revue les personnels du commissariat, au garde-à-vous sur une partie de la rue Pasteur, fermée pour cette occasion exceptionnelle (photo de tête).
***
Henri Weisbecker, né en Haute-Saône, commissaire de police en Lorraine, près de la Sarre, connaissait le danger que représentait le nazisme. Passé commissaire à Clermont-Ferrand au début de la Seconde Guerre mondiale, puis à Marseille, confronté aux collaborationnistes de Doriot (PPF), il avait, à son arrivée au commissariat d'Aurillac-Arpajon, en avril 1943, une expérience qui lui permettait de lutter contre les agissements criminels des nazis et de leurs servants, dans la mesure de ses moyens. Il était davantage utile en ne se démasquant pas aux yeux de ses adversaires qu'en démissionnant pour montrer son opposition. Il avait organisé le "vol" d'un cachet permettant de créer des vraies-fausses cartes d'identité pour les personnes qu'il souhaitait protéger des griffes ennemies.
Abel Enjalbert, né en Aveyron, employé au ministère de la Guerre à Royat (Puy-de-Dôme), par ailleurs membre du mouvement national de Résistance des Ardents, créé en Auvergne, avait lui aussi une détermination républicaine quand il arrive à Aurillac, en août 1943. Il a dû entrer en clandestinité et prendre le maquis quand le chef de la Milice a détecté qu'il avait une action dans la fabrication des vraies-fausses cartes d'identité.
Mais ces deux policiers reconnus Justes parmi les nations par l'Institut Yad Vashem de Jérusalem ne sont qu'une partie des acteurs qui ont œuvré, à Aurillac, Arpajon-sur-Cère, dans le Cantal et ailleurs, pour sauver des Juifs de la Déportation.
Nous avons évoqué une partie de ces actions, et dans l'environnement dans lequel elles ont été menées, dans La Libération désirée tome 2 Massif central (par Manuel Rispal, Editions Authrefois, 2016) et dans Chouette, Noisette et Luzettes (par Manuel Rispal, Editions Authrefois, 2014).
© Manuel Rispal, textes, photos et montage. Les photos d'Henri Weisbecker et d'Abel Enjalbert, que la famille Weisbecker et qu'Abel Enjalbert nous ont offerts, ont été colorisées par nos soins. Mis en ligne le 05/09/2024.